Les eaux minérales naturelles sont-elles amenées à disparaître avec le changement climatique ?

Entre hausse des températures, inondations et urbanisation, les eaux minérales naturelles risquent de souffrir de contaminations de plus en plus régulières.

Deux millions de bouteilles de Perrier ne seront pas « vues en terrasse » ce printemps… Nestlé Waters, producteur de cette eau minérale gazeuse, a annoncé mercredi avoir détruit une partie de son stock, contaminé par des bactéries « d’origine fécale ». Fin janvier, le numéro un mondial de la vente d’eau avait déjà reconnu avoir utilisé des pratiques de purification interdites sur des eaux vendues comme « naturelles » qui avaient souffert de contaminations.

Pire encore, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), remis en juillet 2022 au gouvernement, assurait que l’ensemble des minéraliers étaient très probablement concernés par des pratiques illégales de purification. Car les contaminations d’eaux profondes se multiplient. De quoi interroger sur l’avenir des eaux minérales naturelles…

Une eau « propice aux risques sanitaires »

« Quand on pense au changement climatique, on pense très vite aux sécheresses et aux inondations mais pas forcément aux conséquences sur la qualité de l’eau, et pourtant », glisse Juliette Lassman, analyste de politiques publiques à l’OCDE et spécialiste des questions de gouvernance de l’eau. Quelques degrés de plus ont un effet sur la qualité de l’eau.

« L’eau est un milieu extrêmement propice au développement de risques sanitaires », rappelle Fabienne Trolard, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) qui rappelle que l’eau contaminée reste « l’une des plus grandes causes de mortalité dans le monde ». Et, avec le changement climatique, « les aléas climatiques extrêmes sont de plus en fréquents et de plus en plus intenses », rapporte Juliette Lassman.

« Tout se mélange » en cas d’inondation

Mi-mars, la tempête Monica a frappé l’Hexagone, entraînant la mort de sept personnes et, d’après Nestlé, contaminé l’un de ses forages, dans le Gard. « Lorsqu’il y a des inondations, les eaux peuvent passer par des fosses septiques avant de finir dans des nappes phréatiques » exploitées pour leur eau, souligne Fabienne Trolard qui se souvient de l’odeur « terrible » des inondations à Arles en 2003. « Tout se mélange et tout se retrouve dans les eaux d’inondation », glisse la chercheuse qui évoque un autre risque : celui que les stations d’épuration ne supportent pas un tel flux d’eau.

« On peut observer des débordements sur des événements très ponctuels, lors desquels le système est en incapacité de traiter toute cette eau. Il rejette alors de l’eau non traitée dans les cours d’eau », renchérit Juliette Lassman. Polluée, cette eau continue son chemin et, parfois, s’infiltre en profondeur dans une nappe phréatique où les bouteilles de Perrier prennent leur source. Or, les inondations sont plus fréquentes à cause du réchauffement climatique et de l’urbanisation.

Une eau piégée en surface

« Plus les sols deviennent imperméables, plus on a un effet de ruissellement avec l’eau de pluie qui prend tout sur son passage », explique l’analyste de l’OCDE. Et l’urbanisation aggrave aussi le risque d’inondation, l’eau ne trouvant plus d’interstice où se glisser. « L’eau ne sait plus où aller », résume Juliette Lassman pour qui « il y a une forte augmentation des cas de contamination de l’eau entre le changement climatique et l’urbanisation ».

Pour Nestlé, impossible de traiter son Perrier, sans quoi il perdrait l’appellation « eau minérale naturelle ». Or, « sans la dénomination eau minérale naturelle sur son étiquette, Nestlé sait qu’il devra vendre ses bouteilles cinq ou six fois moins chères », lance Fabienne Trolard. L’entreprise « n’a pas du tout un comportement de préservation de la nappe phréatique et cherche avant tout à faire du chiffre d’affaires », tance la directrice de recherche. Nestlé, qui affichait un chiffre d’affaires de 96 milliards d’euros en 2023, est d’ailleurs accusé d’avoir asséché la nappe de Vittel.

Ça s’en va et ça revient (pas)

« Les eaux souterraines ont la capacité de se régénérer mais il faut laisser du temps. Malheureusement, les conditions ne sont pas là et le seront de moins en moins », explique Juliette Lassman. « L’eau embouteillée a connu une croissance de 73 % entre 2010 et 2020 dans le monde. On a de moins en moins d’eau qui entre et de plus en plus d’eau qui sort. Forcément, ça devient un problème », note-t-elle.

A terme, les Français pourraient donc devoir se passer d’eau minérale naturelle au profit d’une eau traitée. « Les personnes qui achètent de l’eau minérale en bouteille pensent que c’est une eau pure sans traitement chimique mais ça ne veut pas dire qu’elle est meilleure ! », souligne Fabienne Trolard, qui rappelle que le forage d’eau minérale profonde a moins de deux siècles. Les contaminations à répétition pourraient donc, en réalité, pousser de nombreux Français à un retour aux sources.

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