Jean avait 72 ans. Toute sa vie, il avait travaillé dur pour élever seul son fils, Marc, après la mort de sa femme. Il lui avait tout donné, sans jamais rien attendre en retour. Mais les années passent, les souvenirs s’effacent, et l’ingratitude pousse parfois là où on ne l’attend pas.
Un soir, sans prévenir, Marc lui avait demandé de partir. « Élise ne se sent pas à l’aise avec toi ici, papa. On a besoin de notre espace. »
Pas un mot de protestation. Jean avait simplement ramassé sa veste, embrassé son petit-fils de quatre ans dans son sommeil, et était parti.
Depuis, il errait de banc en banc, s’arrêtant souvent dans un petit parc près de la rivière. C’est là, un matin d’automne, qu’il fit la rencontre.
Une fillette s’était approchée de lui, tenant une poupée à moitié déchirée. Elle l’observait intensément, sans peur, sans méfiance.
— Tu veux du chocolat ? demanda-t-elle, tendant un petit carré emballé.
— Merci… Comment tu t’appelles, toi ?
— Juliette. Et toi ?
— Jean. Tu viens souvent ici, Juliette ?
— Tous les mercredis. Avec maman ou papa. Mais aujourd’hui, papa est au téléphone… alors je me suis sauvée.
Ils parlèrent longuement, comme deux vieux amis. Juliette aimait ses histoires, surtout quand il parlait des étoiles et des souvenirs. Jean, de son côté, retrouvait dans ses yeux une lumière qu’il croyait éteinte.
Ce manège dura plusieurs semaines. Chaque mercredi, Juliette venait retrouver « Monsieur Jean » sur le banc. Ils riaient, dessinaient, partageaient des silences paisibles. Jusqu’au jour où Marc arriva plus tôt que prévu.
Il resta figé, à quelques mètres. Il reconnut tout de suite son père, vieilli, affaibli… et pourtant si vivant aux côtés de sa fille. Juliette courut vers lui :
— Papa ! C’est Jean, mon ami. Il me raconte des histoires incroyables ! Il dit qu’il a connu un monsieur qui te ressemblait quand il était jeune…
Marc sentit un nœud dans sa gorge. Tous les souvenirs, les sacrifices, les rires d’enfance, la main de son père sur son épaule après chaque chute… tout revint d’un coup.
Il s’approcha lentement. Jean se leva, mal à l’aise.
— Je… Je ne savais pas. Je suis désolé, murmura Marc.
Juliette, ne comprenant pas tout, prit les mains des deux hommes et les colla l’une contre l’autre.
— Si vous êtes amis, vous pouvez venir tous les mercredis, d’accord ?
Un silence. Puis un sourire. Et ce fut là, sur ce vieux banc de bois, que les cœurs commencèrent à se recoller.