C’était un mardi ordinaire à Paris. Le trottoir débordait de passants pressés, chacun enfermé dans son monde. Les klaxons résonnaient au loin, mêlés aux voix et aux pas rapides.
Antoine sortait d’un entretien, son téléphone greffé à l’oreille.
— « Non, je te dis que ça doit être signé avant dix-sept heures. On n’a pas le choix ! »
Il gesticulait, nerveux, le regard dans le vide, ignorant les visages autour de lui.
Inès roulait doucement sur le trottoir en fauteuil manuel. Elle n’était pas très grande — sa petite taille attirait parfois les regards curieux, mais elle y était habituée. Le monde semblait toujours trop haut, trop pressé, trop distrait.
Ce jour-là, elle s’était promis de rentrer seule. Un petit pas pour les autres, un grand pour elle.
Elle se concentra pour passer un trottoir étroit quand, soudain, une silhouette déboula devant elle. Antoine, absorbé par sa conversation, ne la vit pas. Il la heurta de plein fouet.
Le choc fut déséquilibrant. Inès bascula, son fauteuil se renversa. Une exclamation collective s’éleva autour d’eux.
— « Oh non… ! » souffla Antoine, son téléphone éclaté au sol.
Il se jeta à genoux à côté d’elle, paniqué.
— « Je suis désolé… Je ne vous avais pas vue ! »
Inès, au sol, avait les yeux écarquillés. Elle n’était pas blessée, juste bouleversée. Et surtout, fatiguée qu’on ne la voie jamais. Littéralement.
— « Vous ne m’avez pas vue parce que je suis petite, et en fauteuil. Comme si j’étais invisible. »

Antoine blêmit. Il comprit. Elle n’était pas seulement tombée à terre, elle était tombée hors de son espace déjà trop étroit dans ce monde vertical.
Il l’aida doucement à se relever, s’assura qu’elle n’était pas blessée, redressa le fauteuil.
— « Je suis vraiment désolé. Je n’ai aucune excuse. »
Un silence. Puis, elle souffla :
— « Faites juste attention. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. »
Il hocha la tête, sincère.
— « Je peux vous raccompagner ? »
Elle hésita, puis accepta. Il marcha à côté d’elle, adaptant son rythme au sien, découvrant une toute autre façon de voir la rue : à hauteur de regard d’Inès.
Il raccrocha enfin — pas son téléphone, cette fois, mais son attention au monde réel.